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/ 3 décembre 2024

Crise agricole : décryptage des causes et des enjeux

Crise agricole - convoi de tracteurs sur l'autoroute lors des manifestations

“On marche sur la tête” ,“Pas de pays sans paysans”, et des panneaux toujours la tête à l’envers à l’entrée des villages, depuis un an maintenant. La colère des agriculteurs n’est qu’un des symptômes de la crise profonde et multifactorielle que traverse l’agriculture française elle depuis plusieurs décennies. Entre défis économiques, environnementaux et sociaux, les agriculteurs se battent sur tous les fronts pour préserver leurs exploitations et réinventer leur avenir et leur place dans une filière divisée et sous pression. 

L’année 2024 illustre parfaitement cette crise : des récoltes décevantes et rendements en baisse records, des aléas climatiques de plus en plus intenses et fréquents, la morosité et la pression des prix de marchés qui génèrent des revenus agricoles souvent instables et insuffisants, le tout couronné par des politiques publiques qui se multiplient mais peinent à convaincre. Une majorité d’agriculteurs, désabusés, estiment que leurs revendications ne sont pas entendues par les décideurs. 

Voici notre tentative de résumer en quelques points saillants les enjeux et fondements de la crise agricole, et pourquoi elle récidive fin 2024. 

Pourquoi les agriculteurs manifestent ils aujourd’hui ? 

Plusieurs facteurs cumulatifs et un contexte politique sensible expliquent leurs mobilisations récentes. Parmi eux :  

  • La fin d’année est un temps de bilan, et l’année 2024 est globalement une mauvaise année de récolte pour plusieurs filières : 2e pires vendanges depuis 1945, pires récoltes de céréales à tiges depuis 40 ans … Année qui suit elle-même des années déjà difficiles pour de nombreuses filières et exploitations,  
  • L’anniversaire des mobilisations de 2023 : un moyen de rappeler aux responsables politiques les engagements pris et l’attente des réponses concrètes et durables. 
  • La perspective d’un accord sur le Mercosur, qui génère peur ou menace de concurrence déloyale dans la perception de beaucoup d’agriculteurs (pas tous ! D’autres en bénéficieront à priori pour leurs exportations, cf. plus bas) 
  • Des réglementations environnementales pour préserver les sols, la biodiversité ou l’eau et limiter les intrants nocifs se multiplient. Indéniablement utiles et nécessaires pour soigner notre nature, notre alimentation, notre santé et notre avenir en général, elles génèrent concrètement des nouvelles pratiques, investissements ou contraintes pour les agriculteurs qui nous nourrissent. 
  • Des revendications économiques et sociales, notamment portées par le syndicat majoritaire (la FNSEA), autour de la reconnaissance du métier, d’une juste rémunération et d’un cadre de travail viable, mais aussi des critiques vis à vis de celui-ci qui émergent.  
  • En janvier 2025, toutes les chambres d’agricultures entrent en période de réélection.  

 

Pression économique :  un équilibre à trouver 

En premier lieu, les agriculteurs font face à une rentabilité fragilisée qui menace leur survie à court terme ou leur pérennité à moyen long terme.  Plusieurs facteurs entrent en jeu. 

Premièrement l’inflation, qui pèse lourdement sur les coûts de production, avec une augmentation significative des intrants agricoles comme les engrais, le carburant, l’énergie, le prix du verre…  

Ensuite, les prix d’achats, qui dans un contexte de consommation nationale et internationale plutôt morose et une concurrence globale sont tirés vers le bas et imposés par certains acteurs de l’industrie agroalimentaires, de la grande distribution ou par les consommateurs eux-mêmes soucieux de préserver leur pouvoir d’achat, selon les visions de chacun. Quoi qu’il en soit, ils peinent à couvrir les coûts de production, malgré des dispositifs comme les lois Egalim visant à équilibrer les relations commerciales.  

A cela s’ajoute l’impact des récents accords internationaux tels que le MERCOSUR. Le traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie) est au cœur des tensions. 

Les objectifs principaux de l’accord sont d’accroître les échanges commerciaux en réduisant les droits de douane, permettant à l’UE d’exporter davantage de vin et de voitures, et aux pays du Mercosur d’exporter plus de sucre, de riz, de miel et de viande. 

L’accord du Mercosur suscite donc des interrogations quant à une concurrence perçue comme inégale en raison de normes environnementales et sanitaires moins strictes que dans les pays exportateurs. Le même sujet existe sur les labels et filières bio dans lesquels ont investis il y a plusieurs années de nombreux exploitants, et qui ne trouve aujourd’hui pas forcément les débouchés pour valoriser leur production.  

Naviguer entre ces différents paramètres réglementaires, concurrentiel et marchés qui s’imposent à eux pour trouver un équilibre et une rentabilité économique pérenne est un véritable défi entrepreneurial pour tous, et une source de stress, d’incompréhension et de colère légitime pour nombre d’entre eux, voire d’abandon.  

Aléas climatiques : une variable incontrôlable  

Les agriculteurs sont en première ligne face aux conséquences du dérèglement climatique. Les aléas climatiques, comme les sécheresses prolongées, les vagues de chaleur, ou encore les épisodes de gel, perturbent gravement les récoltes et mettent en danger la santé du bétail. 

Ces phénomènes entraînent une baisse significative des rendements agricoles tout en augmentant les coûts de production, notamment pour l’irrigation et l’adaptation des infrastructures. Cette situation aggrave davantage la précarité financière des exploitants agricoles. 

L’année 2024 illustre bien cette réalité avec des chiffres alarmants :  

  • Une moisson de céréales désastreuse, marquée par une baisse de 25% à 30% de la production de blé. 
  • La deuxième vendange la plus faible depuis 1945 et une récolte inférieure de 22% à celle de 2023. 
  • La filière arboricole est aussi impactée avec une chute de 35% de rendements pour les abricots. 

Il devient donc urgent que l’agriculture s’adapte aux nouvelles conditions climatiques, notamment pour mieux faire face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents et intenses. Mais avec quels moyens ?

 

La déprise agricole s’accentue

La crise agricole française ne se limite pas aux défis économiques et environnementaux. Elle est également sociale. 

A la fin des années 80, la France comptait environ 1 million d’exploitations agricoles. 30 ans plus tard, ce chiffre a drastiquement chuté et nous comptons aujourd’hui un peu plus de 300 000 exploitations. Un déclin qui traduit une transformation importante du paysage agricole français, marquée par un manque de renouvellement générationnel. 

Actuellement, 60% des agriculteurs ont plus de 50 ans et partiront à la retraite dans les 15 prochaines années. Ce vieillissement pose un défi de taille : près de la moitié des exploitations n’ont pas de repreneur. Concrètement, cela signifie que près de 30% des fermes françaises risquent de ne pas être reprises. 

Un constat qui nourrit un climat de pessimisme parmi les agriculteurs qui peuvent se sentir démunis face à l’avenir, et ne même pas vouloir le même avenir pour d’éventuels filles ou fils successeurs. Entre la pression économique, les incertitudes liées au changement climatique et l’absence de perspectives pour les jeunes générations, beaucoup peinent à croire en la pérennité de leur métier. 

La question de la transmission des exploitations est devenue un enjeu crucial pour assurer la survie de l’agriculture et préserver son rôle dans l’économie française. 

« Les principales difficultés viennent du contexte du marché, de l’économie de la viticulture qui est très compliquée en ce moment avec une surproduction mondiale, des prix de vente qui sont à la baisse et le changement climatique qui fait qu’on a des rendements de plus en plus bas donc plus de charges et moins de revenus. Ça devient très dur. Je pense que c’est même à peu près impossible de partir de zéro pour un jeune actuellement. Jonas Dubois, Responsable du Domaine Solaspres (66) 

Pour conclure 

La crise agricole française illustre la complexité des défis auxquels les agriculteurs doivent faire face, qu’ils soient économiques, climatiques ou sociaux. Ces enjeux, profondément interconnectés, exigent des réponses adaptées pour garantir la pérennité de l’agriculture française. Si des initiatives et des dispositifs existent pour soutenir le secteur, ils nécessitent un engagement accru de tous les acteurs, des décideurs publics aux citoyens, afin de mieux accompagner les agriculteurs dans cette période charnière de transition et préserver leur rôle essentiel dans notre société. 

 

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